Casablanca - Le Maroc Aujourd’hui
C’est une affaire qui relance le débat sur l’indépendance des experts chargés d’évaluer les médicaments. Elle oppose la Haute Autorité de santé (HAS) au laboratoire Genevrier, l’un de ces nombreux seconds rôles de l’industrie pharmaceutique.
Créé en 1920 à Neuilly-sur-Seine et aujourd’hui installé près de Nice, Genevrier commercialise une gamme hétéroclite de médicaments, exploitant des molécules anciennes : des sirops et pastilles contre la toux (sous la célèbre marque Codotussyl), des anti-épileptiques, et même une série de traitements cosmétiques à base d’acide hyaluronique (le principe actif du Botox).
Un médicament l’a bien malgré lui projeté sur le devant de la scène, le Chondrosulf, un anti-arthrosique destiné à atténuer les douleurs articulaires. Il appartient à une classe de molécules déremboursées depuis le début de l’année, et c’est lui qui au cœur d’un bras de fer avec la HAS.
Genévrier conteste le secret qui entoure les débats et le vote de la Commission de la transparence – le collège de la HAS qui « note » les médicaments. Le nom des 26 membres est connu, mais on ne sait pas qui a voté quoi, puisque seul le résultat est consigné.
En outre, dans les procès-verbaux des réunions, le nom des agents de la HAS qui ont travaillé sur le dossier est occulté. Le laboratoire – qui soupçonne certains intervenants d’être biaisés en sa défaveur – a contesté la légalité de cet anonymat devant le tribunal administratif de Montreuil, qui lui a donné raison vendredi 23 octobre.
Face à la HAS, Genévrier avait un argument de poids : un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) publié en septembre 2014, rappelant que « le procès-verbal doit permettre de connaître les opinions exprimées individuellement par les membres des commissions ainsi que l’identité de leurs auteurs ».
Compte tenu de « l’objectif de transparence poursuivi par le législateur », la Commission ajoute que l’on doit pouvoir « identifier le détail nominatif des votes de chacun des membres de la Haute Autorité ».
La HAS, qui n’est pas tenue de se conformer à l’avis de la CADA, avait alors objecté qu’un document comportant ces informations n’existe pas ». Le vote ayant lieu à main levée, il n’y a aucune trace écrite, et selon elle, le détail des procès-verbaux – qui attribue chaque intervention à son auteur – suffit à se faire une idée de qui pense quoi.
La décision du tribunal administratif la contraindra néanmoins à dévoiler le nom de ses agents. Ce qui n’est pas sans conséquence : « Cet anonymat les préserve des pressions que les laboratoires exercent sur eux, souligne un bon connaisseur du milieu. Les coups de fil insistants des industriels qui souhaitent faire passer leur message ne sont pas rares… »
La HAS acceptera-t-elle de jouer le jeu de la transparence en consignant à l’avenir le nom des membres qui ont voté pour ou contre le déremboursement d’un médicament ? Les laboratoires en profiteront-ils pour tenter d’influencer davantage ses décisions ?
Ces questions sont d’autant plus d’actualité que le parquet de Paris a ouvert en avril une enquête sur de possibles conflits d’intérêts dans le monde des médicaments après les révélations de Mediapart sur des liens entre experts des autorités de santé et laboratoires pharmaceutiques.
Communication vantant indûment le Chondrosulf. Elle reprochait à cette publicité destinée aux professionnels de santé (médecins, pharmaciens) de prétendre que ce médicament permet de « limiter la polymédication », c’est-à-dire de réduire la prise d’autres médicaments destinés à soulager la douleur du genou atteint d’arthose, notamment des anti-inflammatoires.
Or, cet argument – que continue d’avancer le laboratoire – n’est pas étayé par des données probantes, comme l’indique clairement un avis publié par la HAS en 2008. Sa conclusion était déjà sans appel : «Chondrosulf ne présente pas d’intérêt de santé publique ».