Albi - Maroc Aujourdhui
Ils sont fresquistes et iconographes de père en fils depuis le XVIe siècle. Nicolaï Greschny, né en Estonie et mort dans le Tarn après avoir fui le nazisme à travers l'Europe, a imprégné des dizaines d'églises en France d'art byzantin, avant de céder son pinceau à Michaël.
Nicolaï Greschny, décédé en 1985 à l'âge de 73 ans, a laissé derrière lui une oeuvre monumentale, toute imprégnée des Vieux croyants (orthodoxes) russes, dont son père était issu, tandis que sa mère catholique balte, était d'origine allemande.
Il a laissé un patrimoine de 10.000 mètres carrés de fresques sur 87 chantiers répertoriés dans 27 départements, qu'une association des amis du peintre s'occupe de faire visiter et d'entretenir. Sans compter ses icônes, un art dans lequel il est considéré comme un maître.
"Les gens viennent vers moi pour qu'on parle de mon père", dit Michaël, quinquagénaire, qui perpétue la tradition avec une spécialité supplémentaire: la bijouterie qui l'a fait travailler pendant des années pour Fabergé à Paris.
Dès l'âge de quatre ans, Michaël avait déjà le pinceau à la main et devait suivre pas à pas les enseignements de son père. "Je ne peux pas dire qu'il me forçait mais si je faisais autre chose, je perdais mon temps", se souvient-il.
Nicolaï Greschny a aussi transmis son savoir à de jeunes étudiants inscrits à ses cours à la Maurinié, son domaine construit sur de vieilles pierres à quelque 6 km d'Albi. Dans cet ensemble de bâtiments qu'il a lui-même en partie reconstruits, une chapelle a été érigée, faute de l'église qu'il rêvait de construire quand il était gosse, explique Michaël, héritier du domaine avec sa famille.
A l'intérieur, une collection de bénitiers, des statues anciennes, divers objets de culte et de grandes fresques et icônes réalisées par toute la famille.
- Une foi inébranlable -
Nicolaï Greschny passait au mieux pour un illuminé, après de longues études de théologie, au pire pour un fou. Cet homme qui voulait vivre d'abord comme un moine ou devenir prêtre "avait une foi inébranlable", selon un de ses plus proches amis, Alain Catalo.
Et la première fois que Marie-Thérèse, sa future épouse âgée aujourd'hui de 93 ans, l'avait rencontré, elle s'était "demandée qu'est-ce que c'est que cet oiseau?", d'autant qu'il passait sa vie en short, été comme hiver, quelles que soient les circonstances.
L'histoire de ce peintre infatigable c'est aussi l'histoire de l'Europe: sa famille a fui Tallinn, sous emprise russe, lors de la révolution de 1917, jusqu?en Silésie. Entre ses études théologiques, les beaux-arts, la résistance et sa tête mise à prix par les nazis, Nicolaï a ensuite traversé le Vieux continent jusqu'en France avec le soutien des jésuites, ses mentors religieux.
Mais il n'a pu échapper aux camps d'internement dont celui d'Argelès-sur-Mer qu'il a réussi à fuir pour se réfugier de monastère en monastère. Il y offrait ses services de fresquiste contre le gîte et le couvert.
Précédé par sa réputation, après la guerre, Nicolaï Greschny a multiplié les chantiers. A chaque fois, dans chaque église, il insistait pour immortaliser certains habitants sur ses fresques et s'était même parfois représenté lui-même en short de travail.
L'art de la fresque consiste à dessiner et oxyder de différentes couleurs un mur couvert d'enduit encore frais. C'est à peu près la même chose pour l'icône. "Il y a cette notion de lumière rayonnante qui est très importante", explique Michaël.
Vers la fin de sa vie, Nicolaï Greschny a préparé un dernier grand chantier, les Rosières en 1983. Trop faible, il a chargé Michaël de l'exécuter. "C'était une première. J'avais 24 ans, témoigne le fils. Son angoisse était que cette tradition soit perdue. Avec ce chantier exécuté, il est parti rassuré", se souvient-il.
Aujourd'hui, Michaël prépare son prochain chantier: le dôme de l'église chaldéenne de Sarcelles. Tout comme son père, il a apporté sa touche à nombre d'édifices religieux de la région, dont l'église de Nages (Tarn) ou celle de Villefranche-d'Albigeois où il a peint d'immense panneaux.
La Maurinié aujourd'hui est un lieu d'accueil. Michaël y donne aussi des cours et sa mère et son épouse, elles-mêmes peintres, aident à perpétuer la tradition. Mais il "n'est pas sûr qu'au moins un de ses deux fils" prendra la suite.
La Source: AFP