Gradignan - Maroc Aujourdhui
Les démarches tentent bien de singer le robotique des "catwalks", mais pas ici de regard lointain, de morgue inexpressive: les sourires béats au "défilé de mode" des détenues de la prison de Gradignan (Gironde) traduisent un début de regain d'estime de soi: femme, belle et, du coup, un petit peu libre.
Au commencement, l'idée était de mieux connaître ses seins. Dans le sillage d'"Octobre Rose", campagne d'information sur le cancer du sein, un projet au quartier des femmes (une trentaine) de la maison d'arrêt de Gradignan a sensibilisé les détenues au dépistage: informer, rassurer, banaliser et encourager les questions.
Le corollaire, le clou, c'était le défilé de mode. Neuf femmes, de 18 ans à la quarantaine, prévenues ou condamnées, volontaires pour se préparer -- tout au long d'ateliers d'image, de maquillage, de coiffure -- à monter sur le podium. Une marche de plus dans la réappropriation de leur corps, d'une féminité souvent "abîmée en prison".
"Quand on entre en prison, on s'abandonne, on se laisse aller. On ne se maquille plus, on ne se coiffe plus, on se dit +à quoi bon? Je suis en prison..+. Et vous savez, sans s'en rendre compte, on s'abaisse, on s'abaisse...", glisse Fatima, brunette de 30 ans dont un et demi en détention. Qui avoue s'être laissée avec délice apprêter, bichonner, par des professionnelles -- bénévoles pour la plupart -- "que jamais on ne pourrait avoir à l'extérieur".
- Des mannequins qui sourient -
Personne n'est vraiment dupe. Les mannequins taulardes savent bien qu'"on a organisé cela pour nous remonter le moral, parce qu'il y a eu des problèmes, des suicides... Cela affecte", confie l'une elles. Mais elles ont joué le jeu et constatent que ça marche.
"Deux ans que je n'avais pas mis de robe. Et plus de deux ans que je n'avais pas marché avec des talons...", songe Luisa, 35 ans, plastique irréprochable et faux airs de vraie pro, dans sa longue robe fourreau fendue. Et qui avoue "des lèvres qui tremblaient, moi qui ne suis pourtant pas timide, avec ces regards posés sur nous", pour ses premiers pas de mannequin devant des co-détenues, quelques journalistes, des participants au projet, des surveillantes.
Robes-bustiers, fourreaux, robes évasées, tons du feu au fleuri: pas vraiment de tendance dans les tenues printemps-été, fournies par un grand couturier qui, curieusement, souhaite garder l'anonymat, et qu'il a fallu adapter aux tailles, du 36 au 46. Pas de tendance, mais une constante: les sourires, timides sous les projecteurs, puis peu à peu irrépressibles, toutes dents dehors. Des mannequins radieux?
"Ben oui, on riait, parce qu'on était contentes...", claironne Luisa avec évidence. "C'est un moment, on ne se prend pas la tête, on se libère", explique Nathalie, pulpeuse aînée du défilé, qui rit de "sa taille pas vraiment mannequin" mais évoque à demi-mots une revanche qui vient de loin: elle n'avait pas porté de robe depuis 20 ans. "Moi, c'est ici que je réapprends à prendre soin de moi".
- Femmes malgré tout -
Un passage, puis deux, au son de techno, sur l'estrade d'une petite salle polyvalente de la prison. Dans le public, les co-détenues applaudissent, bientôt à tout rompre, puis s'échauffent, cris et vivats fusent en un joyeux défouloir, un défilé à la fois sérieux et peu académique. "Une grande récréation dans leur vie", résume une des bénévoles, qui a vu des larmes sur quelques visages, dans la pénombre.
"C'était très chargé en émotion, pour les détenues comme pour nous, les intervenantes", souffle Véronique Lavigne, socio-esthéticienne, cheville du projet, qui anime depuis quatre ans des ateliers au quartier femmes de Gradignan. "On leur montre, elles se montrent, qu'elles sont femmes malgré tout et avant tout, bonnes à faire quelque chose, malgré tout ce qu'elles ont pu commettre...".
Mais la prison reste la prison. Un pot vite avalé, quelques embrassades avec les maquilleuses, coiffeuses, et déjà les surveillants s'agitent: il faut réintégrer le quartier, la promenade, la gamelle... Du défilé resteront aux "filles" les chaussures à talon, offertes par Castañer, et les accessoires et bijoux, par l'Institut Adopt. Cadeaux en sursis, car elles ne peuvent les porter "à l'intérieur".
Et quelques idées de réinsertion, qui auraient germé dans la tête de ces mannequins d'un jour? "Des idées de shopping, oui..." s'esclaffe Luisa.
La Source: AFP