Paris - AFP
Coup de grâce ou coup de fouet pour revivifier un enseignement en déclin depuis des décennies? La suppression des options latin-grec et l'introduction de cours consacrés à l'Antiquité, prévues par la réforme des collèges, divisent profondément le monde de l'éducation.
La ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem l'assure: "non, le latin et le grec ne disparaissent pas du collège. Au contraire, ils sont renforcés".
Pas de quoi rassurer les associations de professeurs de langues anciennes, qui depuis mi-mars alertent l'opinion sur la disparition selon eux programmée du latin et du grec.
Deux pétitions ont recueilli quelque 35.000 signatures chacune. Et le latin a retenti à l'Assemblée nationale lorsque la députée UMP Virgine Duby-Muller a déclaré "errare humanum est, perseverare diabolicum" pour enjoindre le gouvernement à faire marche arrière.
Parmi les propositions de la ministre, approuvées début avril par le Conseil supérieur de l'éducation, figure la suppression des options latin et grec. Actuellement, l'option latin démarre en cinquième, avec deux heures hebdomadaires, puis trois heures en quatrième et troisième. Pour le grec, c'est trois heures par semaine, en troisième.
Dans la dernière mouture du projet, ces options sont remplacées par un autre dispositif: un des huit nouveaux Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) sera consacré aux Langues et cultures de l'Antiquité, ainsi qu'un "enseignement de complément" (une heure en cinquième, puis deux heures en troisième et quatrième).
EPI et accompagnement personnalisé représentent quatre des 26 heures de cours hebdomadaires des collégiens, mais les profs de langues anciennes craignent de se retrouver avec la portion congrue: il va falloir convaincre les profs d'histoire, de maths ou de sciences de mener un cours interdisciplinaire avec celui de latin.
- "Pas des langues mortes" -
"Nous ne figurons pas dans un horaire, mais seulement dans un EPI qui sera pris sur les horaires des autres disciplines", regrette François Martin, professeur de français-latin-grec dans un collège d'éducation prioritaire en Seine-Saint-Denis.
Quant aux enseignements de compléments, qui peuvent être dédiés au latin, le professeur de 37 ans n'y croit pas. Les chefs d'établissement privilégieront la consolidation des fondamentaux (maths, français...) en groupes dédoublés. Et leur financement n'est pas garanti selon lui.
"Tous les élèves pourraient bénéficier de l'enseignement de ces langues si on leur donnait un horaire réservé mais l'EPI n'apportera qu'un vernis de civilisation", estime M. Martin, également vice-président de la Coordination nationale des associations régionales des enseignants de langues anciennes.
"Le latin et le grec ne sont pas des langues mortes", souligne-t-il. Les grands textes d'avant Jésus-Christ ont "quelque chose de mystérieux et de fascinant pour les élèves" car ils abordent des thèmes et des questions d'aujourd'hui. Ce sont des "ponts" qui ont franchi plusieurs siècles. Sans oublier l'apport du latin à une meilleure maîtrise de la syntaxe et du vocabulaire.
Pour le moment, 20% des collégiens optent pour le latin en cinquième. Mais ils sont moins de 5% à le poursuivre au lycée. Ils ne sont que 2% à prendre le grec en troisième et 1% à continuer ensuite.
Selon les partisans de la réforme, cette déperdition des latinistes prouve que le choix de cette option répond avant tout à une stratégie, pour être dans une bonne classe ou contourner la carte scolaire afin d'aller dans un collège de meilleure réputation.
Ces classes latin ont permis à des établissements en zone défavorisée de rester attractifs, reconnaît Frédéric Sève, secrétaire général du Sgen-CFDT, syndicat minoritaire et réformiste. La mixité était présente dans les établissements mais avec des limites, car les classes de latinistes (comme les bilangues ou les sections européennes, que veut aussi supprimer la ministre) étaient, elles, peu mixtes.
"Il faut se battre pour la réussite de tous les élèves", déclare-t-il. Si "l'on veut relancer le vivier des latinistes, initier tous les élèves aux cultures antiques avant d'aborder la langue et donner du sens en mobilisant d'autres matières me semblent judicieux. Même si ce n'est jamais facile de passer d'un modèle à l'autre."