Montpellier - AFP
Créer du lien, mettre bout à bout des projets et des individus, changer l'image du quartier: au c?ur du quartier populaire de La Paillade à Montpellier, Kaina.tv s'est imposée comme la webtélé dédiée au "vivre ensemble".
Au pied d'une barre d'immeuble de 10 étages, à côté d'un commissariat de police, Kaina.tv est immanquable avec sa façade jaune vif. Et au fil du temps son studio en forme de salon-salle à manger, ses deux salles de montage et sa salle de réunion sont devenus des lieux de ralliement.
Chaque jour, les jeunes du quartier sont nombreux à s'y retrouver. Au programme, la préparation des 2 à 3 sujets ou de(s) émission(s) en direct diffusés chaque semaine. Mais certains y vont aussi simplement "pour discuter" ou pour "un conseil". C'est le cas de Keyvan croisé à l'entrée pour qu'on "(l)'aide à compléter (s)on CV".
L'association Kaina, du nom d'une princesse berbère (Kahina) est née en 2000. Son ambition? Un projet éducatif et populaire pour changer l'image de ce quartier, souligne sa présidente Estrella Hernandez.
La webtélé est, elle, arrivée sept ans après. Elle vise les quelque 30.000 habitants du quartier du sud de Montpellier et revendique de 18.000 à 20.000 téléspectateurs.
A l'origine de l'aventure, Akli Alliout, un animateur originaire d'une banlieue populaire parisienne. Arrivé à La Paillade en 1998, ce féru de vidéo et de photo avait réussi son premier projet: faire tourner par les jeunes un documentaire sur le thème de la lutte contre les discriminations. Avec au générique Jamel Debbouze, Guy Bedos, Luc Besson... de passage à Montpellier.
Aujourd'hui, l'émission phare, créée il y a cinq ans, reprend l'idée de soumettre des personnalités aux questions de jeunes âgés de 18 à 26 ans. "Viens chez moi j'habite à la Paillade" accueille écrivains, chanteurs... Dernière invitée, la présentatrice de télévision Aïda Touhiri. Les préfets, les politiques y sont aussi reçus. C'est ainsi que tous les candidats des municipales 2014 avaient été soumis au feu des questions. Même la FN France Jamet.
- 'Temps d'intelligence disponible' -
"On avait beaucoup débattu sur cet aspect", reconnait Mme Hernandez. "Les jeunes font tout. Ils questionnent la personnalité sur son parcours, gèrent la régie... Je deviens leur assistant", complète Oumar Timbo, animateur socio-culturel et habituel responsable technique.
Les personnalités apprécient. Et parfois certaines deviennent ambassadeur de Kaina.tv. C'est le cas de José Bové qui l'encourage sur les réseaux sociaux. Ou d'Edwy Plenel, le patron de Médiapart, dont la chaine est fière de diffuser le message: "Fermer TF1, ouvrir Kaina.tv, c'est du temps d'intelligence disponible."
Kaina.tv ne se définit pas comme un média. "Notre objectif est de permettre aux jeunes de s'exprimer à travers la création. Notre idée est de donner une autre image du quartier. La télé, c'est un prétexte, un outil comme le théâtre ou le sport", souligne le directeur Akli Alliout.
"La force de Kaina, c'est de nous donner la parole et de nous accompagner", agrée Zakaria Euragragui, 16 ans, en 1ère ES à Jean-Monet.
Ce lycéen, envoyé en reportage au conseil de quartier, est tout heureux de pouvoir interroger les politiques et leur faire dire comment ils "veulent faire avancer le quartier". Mais de constater aussi déjà: "Certains sont assez tordus."
Les discussions, au lendemain des attentats en janvier à Paris, ont démontré l'importance de cette webtélé pour la paix sociale. "Kaina.tv a été Charlie", souligne la coordonnatrice Nadia Benlfeki
"Les jeunes n'étaient pas d'accord avec certains dessins de Charlie Hebdo. Mais leur position était: ils sont libres de dessiner, nous nous sommes libres de ne pas acheter", ajoute-t-elle.
Avec un budget 150.000 euros provenant en majeure partie de l'État, Kaina.tv salarie 5 personnes. "Il n'y a pas d'âge pour venir chez nous. En février, nous avions reçus des collégiens pour une initiation à l'outil audiovisuel. Nous accueillons aussi des étudiants en BTS pour leur stage", précise M. Alliout qui s'enorgueillit d'avoir fait "naitre des vocations". Comme pour Mathieu et Cécile devenus de journalistes. "Ils ont osé franchir les obstacles de leur quartier", se félicite M. Alliout.