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"Attention, c'est fibreux !" prévient un jeune Amérindien aux cheveux nattés, en proposant une assiette de feuilles d'agaves grillées. C'est la fête annuelle de cette plante du désert au musée californien du Malki, dédié à la culture des Indiens cahuillas.
Quelque 200 personnes sont réunies pour goûter la pulpe à la fois sucrée et amère de l'agave, un des aliments traditionnels des Cahuillas, prisé pour sa haute teneur en eau et en nutriments.
Certains aiment, d'autres grimacent. "C'est un goût qu'on acquiert", plaisante Sharon Mattern, qui vit dans les environs et est déjà venue plusieurs fois au Malki, dans le désert californien, à 160 kilomètres de Los Angeles.
Ce musée, qui a fêté ses 50 ans l'an dernier, comprend deux petites bâtisses, quelques annexes en préfabriqués dans une cour de terre, et un jardin de plantes médicinales.
Il est le premier de Californie ouvert par des Indiens dans une réserve, et privilégie l'authenticité au tourisme de masse.
"La célébration d'aujourd'hui est très importante pour nous. C'est une façon de montrer qu'on est toujours là et que nous nous souvenons de nos traditions", explique Ernest Siva, un des aînés de la tribu cahuilla, qui compte quelques milliers de membres contre jusqu'à près de 10.000 avant l'arrivée des Blancs.
"De nos jours, on trouve tout déjà prêt au supermarché mais il faut se souvenir qu'avant, ça demandait beaucoup de travail. Il fallait récolter l'agave, le rôtir dans le sol, le couper, parfois le broyer pour en faire de la farine", et le stocker pour les mois où la nourriture et l'eau devenaient rares, ajoute Ernest, au visage cuivré protégé par un chapeau.
- "C'est très identitaire" -
A quelques mètres de lui, Blossom, fine jeune femme aux longs cheveux noirs et au sourire immense, enseigne aux visiteurs et surtout aux enfants à tresser des paniers.
Dans le jardin qui embaume la sauge, Aaron, 48 ans, entonne des "bird songs", chansons traditionnelles aux mélodies répétitives et entêtantes, qui parlent des éléments naturels, comme "l'eau qui tombe du ciel, s'accumule, et fait sortir de terre de belles choses", explique-t-il.
Dans la cour du musée, des adolescentes amérindiennes forment une ronde de danses et de chants venus de plusieurs tribus. En robes colorées, elles rythment leurs pas avec des petits tambours.
A midi, les visiteurs, des chercheurs, archéologues, militants pour l'environnement, retraités, entre autres, se mêlent aux membres de la communauté cahuilla autour de grandes tablées pour un repas traditionnel composé d'agaves grillés, de purée de glands, ragoût de lapin, pain frit, soupe de haricots secs, biche et dinde sauvages. Avec une limonade à l'agave et aux graines de chia.
"Partager leur savoir, chanter, danser, prier, manger de façon traditionnelle, faire des paniers, c'est très identitaire", les Amérindiens "ont besoin de ça pour contrebalancer les effets de la société d'aujourd'hui", explique la conservatrice du Malki, Nathalie Colin, une Lyonnaise tombée amoureuse de la région et des cultures indiennes.
En plus de ses fêtes traditionnelles, le musée a aussi une galerie d'objets et outils anciens, ainsi qu'une maison d'édition.
- Sauver la langue -
L'une des principales victoires du Malki, c'est d'être parvenu à pérenniser le langage cahuilla en trouvant un système d'écriture pour ce qui n'était qu'une tradition orale, grâce au travail de la cofondatrice Katherine Siva Saubel et de linguistes.
"Les chansons, l'utilisation des plantes, les systèmes de construction, tout était dans leur tête, ils utilisaient beaucoup plus leur cerveau et leur mémoire que nous. Alors d'une certaine façon c'est dommage de perdre ça avec l'écriture, mais c'est indispensable si on veut sauver la langue", porte d'entrée de toute culture, remarque Nathalie Colin.
Il y a urgence car la langue cahuilla se meurt. Il ne reste qu'une vingtaine de personnes qui la maîtrisent couramment, dont Ernest, qui dit parfois "se parler à lui-même, car il n'y a plus personne avec qui parler".
L'espoir est pourtant de mise. "Au début du XXe siècle, les Indiens semblaient voués à disparaître tout comme leur culture. Beaucoup avaient quitté les réserves, tout les poussait à s'assimiler à la culture dominante, explique la conservatrice. Mais on assiste à un vrai renouveau, les gens sont de nouveau fiers, ils se sont mis à dire à leurs enfants +Voilà qui on est+."
"Il y a de plus en plus de gens intéressés, notamment parce qu'ils veulent apprendre les +bird songs+", renchérit Raymond Huaute, qui enseigne le cahuilla dans des centres communautaires. "Quand j'ai commencé à enseigner, il n'y avait qu'une poignée de gens. Maintenant la classe est pleine."