C'est un immortel qui entre vendredi dans le saint des saints des écrivains, la collection de La Pléiade: l'oeil bleu plein de malice, Jean d'Ormesson, bientôt 90 ans, hésite pourtant entre l'émotion, l'inquiétude de susciter des jalousies et le détachement de celui qui sait que l'essentiel est ailleurs.
"C'est une grande émotion La Pléiade!", lâche dans un sourire cet aristocrate élégant et charmeur, cravate en laine bleue et veste en tweed, en se promenant dans les jardins des éditions Gallimard. "On entre dans la collection de Chateaubriand, d'Aragon, de Proust..."
Il ne choisit pas ces noms au hasard: ce sont d'abord ses écrivains préférés qu'il rejoint vendredi. Chateaubriand surtout, auquel il a consacré une biographie sentimentale, ou Aragon, dont des vers deviennent souvent les titres de ses livres.
"Antoine Gallimard m'a dit: j'ai pensé à vous faire entrer dans La Pléiade. J'ai été tellement ému que j'ai dit: Merci beaucoup. Et je suis parti", se souvient celui qui, dans ses livres, a souvent romancé sa vie.
Le PDG des éditions Gallimard a juste eu le temps de lui lancer: "Il n'y a pas tellement d'écrivains vivants qui entrent dans La Pléiade. Quelques-uns meurent pendant qu'on prépare leur Pléiade..."
"J'ai encore survécu !", plaisante ce descendant du défenseur de Fouquet, Olivier Lefèvre d'Ormesson, qui avait tenu tête à Louis XIV.
Méditations sur le temps qui passe et l'histoire, ses oeuvres - "Au revoir et merci" (1966), "La Gloire de l'Empire" (1971), "Au plaisir de Dieu" (1974) et "Histoire du juif errant" (1990) - viennent d'être imprimées sur papier bible et reliées en un volume dans la mythique collection créée en 1931 par Jacques Schiffrin.
De quoi devenir nostalgique: "J'étais venu apporter ici mon premier manuscrit", dit cet hédoniste, dont les premiers ouvrages, publiés chez Julliard, resteront confidentiels.
C'est Gallimard qui publie son premier succès, "La Gloire de l'Empire", que le médiéviste Jacques Le Goff qualifiera d'"oeuvre pionnière".
- Les générations à venir -
"J'ai été élu à l'Académie, je suis devenu directeur du Figaro et je suis entré au comité de lecture de Gallimard sur ce seul livre", dit-il.
Tous les succès donc et tous les honneurs. Et pourtant, l'émotion se mêle aujourd'hui à une pointe d'inquiétude.
"Je me demande si La Pléiade ne va pas me donner aussi un certain nombre d'ennemis", glisse Jean d'Ormesson sur le ton de la confidence. "Des gens vont se dire: pourquoi lui ?".
L'hebdomadaire Le Nouvel Observateur a interrogé des écrivains pour savoir s'ils étaient pour ou contre son entrée dans La Pléiade. Les avis étaient partagés.
Le fait d'être devenu immortel à 48 ans - il a été élu à l'Académie le 18 octobre 1973 - avait déjà provoqué quelques ricanements.
L'entrée de son vivant dans la Pléiade - ce qui est encore plus rare - n'est pas pour arranger les choses.
D'autant que Jean d'Ormesson, dont le goût de l'anecdote et l'érudition ont longtemps fait mouche sur les plateaux de télévision, vient d'être sacré dans un sondage deuxième écrivain préféré des Français.
"J'ai eu de la chance dans la vie et cette chance me crée un certain nombre de devoirs", dit-il. "J'essaie de donner un peu de bonheur à mes lecteurs".
Mais plus que ce qu'on pense de lui aujourd'hui, c'est l'avenir qui le préoccupe.
"Qui décide de l'avenir d'un écrivain ? Ce ne sont pas les académies, ni les prix, ni le nombre des lecteurs. Ce sont les générations à venir !", dit-il.
Il est toutefois rassuré de voir que ces dernières années, ses lecteurs "se sont beaucoup rajeunis".
"Des jeunes filles ravissantes me disaient: +Ma mère vous admire tellement !+", déclare-t-il dans un sourire. "Maintenant des dames âgées me disent: +mon petit fils vous aime bien+!".
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