Les trompettes du rara, des musiciens à pied, entament leur mélodie et entrainent dans leur sillage une cinquantaine de personnes à travers les rues du centre historique de Port-au-Prince: la deuxième édition du festival culturel "Atis nan Kay la" est lancée.
"Atis nan kay la", qui signifie "des artistes à la maison" en créole, est un parcours d'artistes qui performent dans les maisons Gingerbread," explique vendredi soir Allenby Augustin, l'un des organisateurs.
Ces grandes bâtisses en bois ont marqué l'architecture haïtienne au début 20e siècle mais, parce que leur entretien est très couteux, beaucoup ont été laissées à l'abandon.
"Ces beautés sont en train de disparaître donc on invite les gens à les apprécier", raconte M. Augustin, en guidant les musiciens dans le bas de la ville de Port-au-Prince.
Sous le soleil, le public d'amoureux de la culture suit aveuglément les trompettistes et percussionnistes, ignorant tout de l'itinéraire et des performances qui les attendent.
Première étape: on se presse pour trouver sa place sur la petite galerie à l'étage. Alors que le trio de musiciens joue des classiques du répertoire haïtien, les propriétaires de la Gingerbread s'improvisent serveurs, offrant un cocktail maison aux marcheurs. Quand la musique se tait à l'étage, une danseuse et une peintre prennent le relais dans la cour avec un ballet de quelques minutes.
Mais, déjà, le rara reprend du service et emmène la troupe de curieux vers la résidence plus que centenaire de Viviane Gauthier.
Assise sur le perron, la femme fluette est bien connue des marcheurs. A 98 ans, elle continue de donner des cours de danse folklorique dans sa belle maison de bois.
Là, les spectateurs se serrent sur l'escalier à l'entrée pour apprécier la performance des danseurs, avant d'accompagner l'une des chanteuses devant le grand miroir où des générations ont appris les pas de danse traditionnelle.
La nuit tombe sur Port-au-prince. C'est à la lumière de son téléphone portable que le graffeur Assaf réalise sur le mur extérieur de la maison le portrait de la propriétaire des lieux.
Guidés par les danseurs au flambeau, le public grandissant admire sur la façade de la Gingerbread voisine la projection vidéo de Maksaens Denis.
"On a très peu de lieux pour exposer", regrette l'artiste haïtien. "C'est donc une formidable opportunité. J'aime travailler sur des surfaces avec du caractère, pas forcément lisses et blanches".
Dans la nuit, le cortège investit les rues en dansant au rythme du rara, à la grande surprise des automobilistes. Car l'insécurité dans la capitale haïtienne a fait du piéton une espèce en voie de disparition.
Dans le défilé, Joanne, jeune port-au-princienne, est ravie de pouvoir tout simplement se promener: "Les gens nous regardent comme si c'était quelque chose d'extraordinaire mais on doit se rappeler que c'est normal," s'amuse-t-elle.
"Dans le bas de la ville, il y a des gros trous, des voitures garées sur ce qui ressemble à des trottoirs donc être piéton, c'est impossible. Là, on se réapproprie la rue, c'est génial", ajoute-t-elle.
- Lieu d'exposition atypique -
Dans une ambiance de carnaval, le cortège continue de grossir. En chantant et dansant, il s'achemine lentement vers la dernière étape du parcours, au abords du Champ de Mars, la plus grande place du pays, peu fréquentable après la tombée de la nuit.
La dernière Gingerbread à servir de scène éphémère est en partie en ruines. "Aujourd'hui, c'est une station-essence", se désole Pascale Monnin, juchée sur un escabeau pour souffler des bulles de savon sur la foule.
"Dans les années 1900, c'est dans cette magnifique Gingerbread que s'est ouverte la première clinique obstétrique du pays," rappelle l'artiste suisse.
Après avoir exposé au Grand palais à Paris, elle apprécie de voir ses sculptures dans ce lieu atypique. "On a décidé de refaire vivre cette maison en mettant de l'art à l'intérieur".
La station-essence ferme, ses lumières s'éteignent. Qu'importe les problèmes de sonorisation, les acteurs déclament les textes préparés en atelier avec le slammeur américain Saul Williams, seulement éclairés par les reflets de boules à facettes.
La Source: AFP
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