Les dagues sont dégainées, mais le bain de sang à venir pourrait ne pas éclabousser tout le monde: en rompant avec son père, Marine Le Pen peut espérer tirer un avantage politique dans sa "stratégie de dédiabolisation".
Jusqu'à peu, nombre de dirigeants FN, même dans les discussions avec les journalistes, gardaient une certaine mesure concernant "Le Pen", soulignant avec une quasi-tendresse son côté "emmerdeur" et le présentant, autant lassés qu'amusés, comme le "vieil oncle éructant à la fin des repas de famille". Pouvoir de nuisance ? Aucun ou presque, assuraient-ils.
Un entretien à l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol, dans lequel Jean-Marie Le Pen -sans nouveauté majeure sur le fond- déroule "un best of des textes et des mots de toute sa carrière", selon les termes du patron des socialistes Jean-Christophe Cambadélis, et le ton de l'équipe dirigeante frontiste a radicalement changé.
Si le signal a été donné par le compagnon de Marine Le Pen, Louis Aliot, historique frontiste, directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen pendant quelques mois et l'un des premiers artisans de la "dédiabolisation", c'est véritablement Florian Philippot, le secrétaire général Nicolas Bay mais aussi le sénateur-maire du VIIe secteur de Marseille Stéphane Ravier qui ont porté le fer médiatique, après que Marine Le Pen a annoncé qu'elle s'opposerait à une candidature aux régionales de son père en Paca.
Dans cette polémique qui se déroule par médias interposés, Florian Philippot a été le plus loin, assurant jeudi qu'il serait "préférable" que Jean-Marie Le Pen démissionne du parti.
Plusieurs proches du numéro deux ont tweeté, avant de les retirer rapidement, des appels à la démission de M. Le Pen s'il est "homme d'honneur"... s'attirant aussitôt les foudres de proches de Marion Maréchal-Le Pen.
Alors que Florian Philippot et Stéphane Ravier ont annoncé la convocation d'un bureau exécutif dès l'après-midi, le FN a rapidement démenti l'information.
Depuis mardi, l'hypothèse d'une exclusion de Jean-Marie Le Pen du parti qu'il a lui-même co-fondé en 1972 n'est plus inenvisageable. "Toutes les options sont sur la table", a lâché M. Philippot
Une exclusion ? Cette décision serait "complètement folle", porteuse d'un "risque d'implosion" du FN, réplique Le Pen père.
- "Quand la bête est à terre, on l'achève" -
Ce changement radical de ton envers Jean-Marie Le Pen n'est pas dépourvu de calcul : "Ils accélèrent le processus de destruction. Quand la bête est à terre, on l'achève", remarque un frontiste historique.
De là à imaginer une répartition des rôles, comme certains pensent ? Nicolas Lebourg, historien spécialiste du FN, répond par la négative dans Libération : "Je ne crois pas à cette théorie (...) L?antisémitisme n?est pas une passion froide : d?une façon ou d?une autre, elle finit toujours par s'exprimer. Et Marine Le Pen n?a jamais tenu aucun propos qui puisse la rattacher à cette tradition."
Mais cette crise, dont le volet familial est exacerbé, peut-elle alors être "une chance pour le FN", comme l'a dit Robert Ménard, le maire de Béziers proche du parti ?
Pour M. Philippot et ses proches, "beaucoup de Français sont en train de se dire: il se passe quelque chose au FN de bien (...) on voit une cheffe qui prend ses responsabilités".
Gilbert Collard, député allié au FN et de longue date virulent contre Jean-Marie Le Pen, s'est dit "satisfait" que la crise permette au FN "d'affirmer (ses) principes".
L'intérêt général des Français devant l'intérêt personnel de Jean-Marie Le Pen: ainsi est mis en forme le rejet du "suicide politique" évoqué par Marine Le Pen.
"On se demande à quel niveau ce n'est pas un dernier cadeau de Jean-Marie Le Pen à sa fille", observe Eric Coquerel, secrétaire national du Parti de Gauche.
Un mal pour un bien donc pour le FN ? Aux yeux du grand public, peut-être. "En faisant de celui-ci l?incarnation du mal absolu, on absout un FN débarrassé de Jean-Marie Le Pen", note M. Lebourg.
Mais le parti est d'ores et déjà fragilisé. La nièce Marion Maréchal-Le Pen goûtera peu des réunions d'instances frontistes où "sonnerait l'hallali contre son grand-père", prévient un de ses soutiens.
Et le principal intéressé est convaincu: en cas d'exclusion, "le prestige que je conserve assez naturellement au sein du FN provoquera des remous considérables et pour elle, une perte d'influence qu'elle ne mesure sans doute pas."
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