L'adoption de lois mémorielles visant à "désoviétiser" l'Ukraine est saluée par beaucoup dans cette ancienne république de l'URSS, mais elle risque d'exacerber les tensions dans un pays déjà divisé par la guerre avec les séparatistes prorusses.
Les députés ukrainiens ont voté jeudi, en quelques heures et sans grand débat, plusieurs lois mettant sur le même plan les régimes soviétique et nazi et interdisant toute "négation publique" de leur "caractère criminel" ainsi que la "production" et "utilisation publique" de leur symboles - comme hymne, drapeaux ou le célèbre marteau et faucille -- sauf quelques exceptions.
Beaucoup ont salué le vote des députés, estimant que des lois mémorielles sur les symboles soviétiques auraient dû être adoptées il y a presque un quart de siècle juste après l'indépendance de l'Ukraine de l'URSS en 1991, à l'instar des pays Baltes - d'autres anciennes républiques soviétiques - et de la Pologne, ex-membre du bloc socialiste où des lois similaires existent aussi. La Russie ne l'a pas fait et s'oppose a fortiori à tout parallèle avec le régime nazi.
- Contrer la propagande du Kremlin -
En Ukraine désormais, de facto les monuments à la gloire des responsables soviétiques, dont les nombreuses statues de Lénine, doivent être démontées, de même que doivent être rebaptisées les localités, rues ou entreprises dont les noms font référence au communisme.
En cas de violation de la législation, les organisations, partis ou médias concernés seront interdits et les contrevenants risquent jusqu'à dix ans de prison, stipulent ces lois qui doivent encore être promulgués par le président Petro Porochenko.
"On peut aimer les communistes. Mais seulement chez soi, en silence et sans l'imposer aux autres", résume à l'AFP l'avocate Valentina Telichenko.
Pourquoi de telles lois maintenant ? selon Vadim Karassiov, directeur de l'Institut des stratégies globales à Kiev, il s'agissait de répondre "à la campagne de propagande du Kremlin", dans le cadre de laquelle les autorités ukrainiennes sont régulièrement qualifiées de "fascistes".
Mais d'autres déplorent cette utilisation de l'Histoire à des fins politiques, cette tentation de revisiter à chaud la très compliquée histoire de l'Ukraine au XXe siècle, de la Grande famine des années 30 au rôle des nationalistes ukrainiens, au moment où l'est du pays est le théâtre d'une guerre qui a fait plus de 6.000 morts et divisé une population, dont une bonne partie reste attachée de son héritage communiste.
- une loi 'trop radicale' -
"Cette loi est trop radicale. (...) Il y a beaucoup d'excès" qui risquent d'exacerber les "tensions surtout dans l'est et le sud" où la nostalgie pour l'URSS est la plus forte, avertit ainsi l'analyste politique indépendant Volodymyr Fessenko.
C'est "une grosse erreur, voire une manière de signer son arrêt de mort vis-à-vis" de l'est du pays "où une version tout à fait différente du XXe siècle prévaut", renchérit dans un blogDavid Marples, directeur d'un programme d'études sur l'Ukraine à l'université canadienne d'Alberta.
Déjà en 2014, après la chute du régime prorusse de l'ex-président Viktor Ianoukovitch, la tentative du nouveau pouvoir pro-européen de revenir sur une loi qui donnait une plus grande place à la langue russe avait piqué au vif de nombreux habitants des régions russophones.
Dans les désormais "Républiques populaires" autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, nombreux étaient ceux qui y avaient vu une volonté de leur interdire totalement l'usage du russe, ce qui, ajouté au démantèlement de statues de Lénine dans plusieurs villes ukrainiennes, a alimenté leur opposition au nouveau pouvoir.
"Le rejet global de tous les aspects de l'héritage soviétique pose problème", souligne M. Marples.
- risque de 'désintégration' -
Les lois adoptées accordent par ailleurs le statut de "combattants pour l'indépendance de l'Ukraine" aux soldats antisoviétiques de la controversée Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA).
L'UPA a affronté l'Armée rouge mais aussi collaboré avec les nazis avant de les combattre. Alors qu'elle est célébrée dans l'ouest de l'Ukraine, d'autres régions ne la voient pas d'un oeil si bienveillant et la Russie comme les séparatistes prorusses l'abhorrent.
"Les autorités ukrainiennes ont lancé un processus irréversible qui va aboutir à la désintégration complète du pays", a d'ores et déjà lancé un dirigeant séparatiste Alexandre Zakhartchenko, cité par un média local.
La Source: AFP
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