Les professeurs des écoles ont pris d'assaut la toile et créé en quelques années des centaines de blogs pour échapper à l'isolement dont ils souffrent parfois. Un espace de liberté, d'échanges, de soutien entre collègues et... d'humour.
"Le gros risque quand on est enseignant, c'est de passer sa journée entre les quatre murs de sa classe, rentrer chez soi le soir et préparer les leçons du lendemain", déclare Anyssa ("La classe des gnomes"), remplaçante dans la Nièvre et une des précurseurs de ce mouvement qui s'est accéléré vers 2012/2013.
"J'ai démarré dans une petite école de campagne, j'étais toute seule sur mon cycle (qui rassemble plusieurs niveaux, par exemple CE2, CM1, CM2), j'avais envie d'échanger sur mes pratiques", explique une professeur des écoles de 28 ans, créatrice de "Lutin Bazar".
Ils sont aujourd'hui un demi-millier à alimenter régulièrement leur blog, dont 250 réunis au sein de la Communauté des profs blogueurs, créée à l'automne 2011. Leur charte précise que tous les membres s'engagent à partager "librement et gratuitement toutes sortes de ressources liées à la pratique professionnelle".
Beaucoup proposent des centaines d'exercices, classés par thème et niveau de classe. Ces échanges de "preps" (pour préparations pédagogiques) sont prisés notamment des enseignants débutants mais aussi des parents d'élèves, qui y trouvent de quoi approfondir les leçons. Et pour le moment, pas question de suivre l'exemple anglo-saxon qui fait payer aux utilisateurs le recours aux préparations.
"Les jeunes enseignants, qui démarrent parfois avec une formation minimale, y trouvent un appui. C'est concret, immédiat, pratique et il y a du choix", explique Mélimelune, institutrice de 34 ans en région parisienne, qui comme la plupart de ses collègues utilise un pseudo pour ses activités sur la toile.
Avec son blog ("Melimelune"), la jeune femme a le sentiment d'utiliser au maximum ce qu'elle produit pour sa classe. Car rien n'est créé spécifiquement pour un blog. Les documents partagés ont tous été conçus au départ pour la classe.
- "Vous avez trouvé ça sur internet?" -
Bruce Demaugé-Bost, enseignant à Vaulx-en-Velin (banlieue de Lyon) dans une classe multi-niveaux, a été l'un des premiers à se lancer dans l'aventure. Il a ouvert un site il y a 13 ans pour "(s)'obliger à archiver (ses) documents". "Puis je me suis dit, +si ça peut servir à d'autres enseignants, tant mieux+".
Son blog ("Petit abécédaire de l'école", une référence dans la blogosphère des professeurs des écoles) fait une place de plus en plus large aux réflexions sur son métier et aux récits d'instants avec sa classe. Les blogs d'enseignants "sont des exemples, au sens +illustrations+, pas forcément à suivre", dit-il. "Mais ça permet de voir autre chose".
Car selon Bruno Devauchelle, professeur à l'université de Poitiers et spécialiste du numérique dans l'éducation, la France souffre d'une culture de l'enseignement façon "découpage en silo", par classe et par matière.
La politique des cycles, lancée il y a 20 ans et qui devait inciter les enseignants à travailler ensemble au sein d'un même cycle (trois niveaux), est un échec, dit-il. "Même si elle y travaille, l'institution ne parvient pas à favoriser la culture de la collaboration".
L'Education nationale justement regarde avec méfiance ces initiatives qui échappent à son contrôle, selon les témoignages des profs-blogueurs. Car le blog permet d'échapper aux contraintes institutionnelles et à la hiérarchie. "La liberté pédagogique est un concept qui se vide de sa substance. Le blog est un espace de liberté", affirme Anyssa.
"Ah! vous avez trouvé ça sur internet!", a lancé avec une moue de dédain une inspectrice à un professeur lors d'une visite dans sa classe, en pointant du doigt des documents. "Ben oui. Et c'est moi qui les y ai mis".
Hésitants les premières années, ils sont pourtant de plus en plus nombreux à faire leur "coming out" et à déclarer aux inspecteurs qu'ils tiennent un blog. "Nous ne sommes pas reconnus par la hiérarchie mais 90% des profs se servent sur ces blogs", souligne avec malice Anyssa.
Sur ces blogs, peu s'épanchent sur les difficultés de leur métier. Mais certains ont recours aux "gifs" (vidéos de quelques secondes tirées de films ou de séries TV) pour traduire avec humour leurs humeurs face aux demandes de la hiérarchie et des parents, ou raconter leurs petits élèves ("Vis ma vie d'instit en gif animé").
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